Patrimoine. De l’art de préserver l’arbre autant que le bâti

Véritable témoin du temps qui passe, de la richesse des parcs et jardins historiques, l’arbre se pose comme l’ossature même des lieux classés au patrimoine des Monuments Historiques. Ainsi protégés, les arbres ne sont pourtant pas à l’abri d’une mauvaise gestion. En effet, alors que les architectes imposent le respect de l’histoire, les professionnels, eux, revendiquent parfois la nécessité de s’adapter à l’époque contemporaine.

 

En décembre dernier, le parc de Versailles a commémoré un anniversaire tristement célèbre. Celui des 20 ans de la tempête la plus dévastatrice qu’il n’ait jamais connu. En une nuit, 18.500 arbres sont mis à terre. Dans les jours qui suivent, 30.000 arbres supplémentaires sont abattus. Ils sont alors gravement endommagés, dangereux ou se retrouvent seuls le long d’une allée devenue fantôme. « Au total, la tempête de 1999 nous a coûté 50.000 arbres », se souvient Alain Baraton, jardinier en chef du Grand Parc de Versailles, du Trianon et du Domainede Marly. A l’aube de l’an 2000, le parc de Versailles vit alors une nouvelle ère. Celle de la reconstruction et de la replantation


Adapter les essences au changement climatique


« A l’époque, on a planté des ormes et des marronniers, mais aujourd’hui ils souffrent tous deux d’une grave maladie et disparaissent », explique Alain Baraton. « On a alors replanté des hêtres. Mais ces derniers souffraient des températures élevées durant l’été. Aujourd’hui, le hêtre ne supporte plus le climat parisien, le bouleau non plus ». Après la tempête de 1999 suivent alors deux décennies de changement climatique. 200.000 arbres sont replantés, certes, mais les essences sont cette fois choisies pour leur capacité de résistance. « Le parc doit désormais s’adapter aux nouvelles conditions climatiques », reconnaît Alain Baraton. Depuis 1976, il veille ainsi sur les 800 hectares de parcs autour du Château de Versailles. Un parc créé parLouis XIII puis agrandi par Louis XIV en 1661 et dessiné par André Le Nôtre, son architecte. « Le problème majeur de ce parc, c’est qu’il a été très mal géré. Comment expliquer alors que 50.000 arbres puissent être détruits en quelques heures ? », s’interroge encore le jardinier.


Les distances de plantation en cause


Dès 1715, avec l’arrivée de Louis XV, le parc commence à vieillir et se fragilise. Les jardiniers se succèdent mais ne prennent pas la mesure de leur tâche, selon Alain Baraton. « Les arbres ont été planté trop près les uns des autres, ce qui les oblige à grandir en hauteur pour capter la lumière. Mais ils sont alors trop frêles et au moindre coup de vent, ils tombent », explique-t-il. Cette distance de sécurité entre les plantations, c’est aussi ce que défend Bruno Schneider, responsable du marché français des Pépinières Bruns, plus grande pépinière d’Europe installée dans le Nord de l’Allemagne. « Avant, nous avions tous une culture rurale, on savait le temps qu’il fallait pour que les arbres poussent et prennent leurs formes adultes. Aujourd’hui, nous avons une culture urbaine : il faut que tout ait de l’allure tout de suite ». Résultat, les distances de plantations sont loin d’être optimales.


Trop serrés, les arbres subissent trop de tailles


A Paris, les arbres sont distancés de seulement 7 mètres quand il en faudrait 14 pour laisser à l’arbre la possibilité de se développer. Du coup, les riverains se plaignent de leur hauteur et réclament qu’on les coupe pour y voir plus clair. Les jardiniers sont alors obligés de tailler en conséquence, de manière agressive. Les arbres sont alors en souffrance. « A l’époque, nous n’avions pas les pépinières d’aujourd’hui, nous plantions des baliveaux qui étaient serrés de fait », constate Bruno Schneider. « On tente de réduire la voilure des feuilles en taillant, sauf qu’on oublie que l’arbre qui est trop taillé, va tenter de reproduire les branches coupées et mettre son énergie dans des feuilles plus grandes encore. Sa prise au vent sera donc la même », note Alain Baraton. « Plus on taille, plus l’arbre vieillit prématurément, et plus les petites branches rejaillissent », complète Bruno Schneider.


Repartir d’une feuille blanche


Au parc de la Bourbansais, en Bretagne, les tempêtes de 1987 et 1993 ont elles aussi fragilisé les arbres. Des hêtres de 110 à 120 ans ont disparu. Le parc de la Bourbansais s’étale sur 100 hectares. Une nature préservée au sud de Dinan, où se dresse un château du XVIIIè, entouré d’un jardin remarquable et d’un zoo accueillant plus de 400 animaux. A chaque gros coup de vent, il faut repartir d’une feuille blanche pour imaginer le futur du parc. Tout raser et tout replanter, afin d’obtenir quelque chose d’homogène. Ceux qui profiteront de ces allées arborées, ce seront les générations suivantes. Quand les arbres auront atteint une maturité suffisante. S’occuper ainsi d’un patrimoine remarquable, c’est accepter de travailler dans le temps long et le temps serein.


Chênes et sapins souffrent du manque d’eau


Les deux perspectives de 650 mètres de long, de part et d’autre de la demeure historique sont classés Monuments Historiques. Repenser l’alignement des arbres après les tempêtes successives a dû se faire avec l’accord du ministère de la Culture, non en suivant les tracés originaux mais plutôt ce qui était le parc en 1870. Comme pour le Domaine de Versailles, les arbres vivent mal le changement de climat, même en Bretagne. Les chênes vieillissent mal désormais. Ils ne supportent pas le stress hydrique. Des étés de canicule comme ceux de ces dernières années les mettent à mal. Idem pour la sapinière plantée après la guerre. Les périodes de sécheresse impactent aujourd’hui le parc arboré de la Bretagne. Pour pallier les effets du changement climatique, les plantations doivent désormais se faire selon des essences spécifiques, dans chaque région.

Changer son regard sur l’arbre


Mais au sein du domaine de la Bourbansais, dans un environnement protégé, on considère qu’il est important que le contrôle technique et scientifique soit réalisé par des hommes de l’art, c’est-à-dire les architectes en chef des Monuments Historiques. A l’inverse, certains jardiniers sont régulièrement en désaccord avec ces mêmes architectes, qui font prévaloir le respect des origines et une volonté d’aménager le paysage à l’identique d’une époque aujourd’hui révolue. Certains jardiniers tentent de faire accepter leurs méthodes. Certes, la connaissance botanique d’aujourd’hui n’est pas la même qu’il y a 250 ans. Alain Baraton et Bruno Schneider le savent eux aussi. Leurs méthodes sont nées de l’expérience du terrain, basées sur l’observation et le bon sens. « Mais si un parc ne respecte pas les distances de plantation qui avaient été imposées par l’architecte créateur il y a trois siècles ou plus, il risque de se voir retirer sa subvention », craint Bruno Schneider. « Un vrai dilemme aujourd’hui, quand on sait que notre patrimoine bâti n’est plus entretenu. Le patrimoine végétal et arboricole en pâtit forcément. » Pour Alain Baraton, les erreurs du passé n’ont visiblement pas servi. « L’arbre est un être vivant, fragile. Il apporte une pureté de l’air en captant le CO2 et maintient la richesse des sols. Son abattage excessif est scandaleux », s’indigne-t-il.
« Dans la société, l’arbre est trop souvent devenu un élément gênant, qui bouche les gouttières et gâche la vue… », conclut le Jardinier. Il est temps de redonner à l’arbre toute la place qu’il doit occuper.